TEXTE DE
ANTOINE VETRO
Je suis Raechel.
Au village on m’appelle Doctoresse. À l’université, un professeur amoureux de moi, un vieux monsieur dont le corps, chaque matin, semblait s’être reconstitué dans le musée d’anatomie, faisait Shabbat et me disait, Ardente jeune fille, la médecine est un art et chaque corps un chef-d’œuvre. Oui, professeur, mais l’artiste et le chef-d’œuvre sont vulnérables lorsque survient la violence du mal.
Je suis Emma.
Mon père avait choisi ce prénom pour moi. Petite fille, il me disait souvent, Ne baisse jamais ces yeux-là, ma chérie, ils feront fuir le Diable en personne. Au monastère du village, avant l’arrivée de ce mal, on m’appelait Sœur Marie des Douleurs, je vivais corps oublié et yeux baissés.
Je suis Salma, la sœur de Fatima.
Je travaille à la ferme. Quand j’allais au village on ne voyait que mes yeux, et je marchais dix pas derrière mon mari. Je dois accoucher dans quelques jours, j’ai peur. J’ai peur parce qu’il est impossible d’aller à la maternité de la ville. Le mal a dévasté la ville de l’Est. On dit qu’il franchit les cols de l’Est, qu’il se rapproche de notre village. La doctoresse, la seule personne qui regarde mon corps, mon mari ne le voit plus, la doctoresse me dit qu’avec mes rondeurs je suis une promesse d’abondance et de paix.
Je ne sais pas qui je suis.
Je ne me souviens plus de mon nom. Je dois avoir quinze ans, ou seize, je ne sais pas. Je suis ukrainienne, je crois. Fillette, enlevée et vendue à une sorte de grossiste en esclaves sexuelles, après un interminable voyage entassée avec d’autres fillettes dans un camion et dans la cale d’un bateau, un type m’a enfermée dans un bordel de la ville de l’Est. L’escalier qui montait aux chambres était de marbre, un marbre taché de rouge, rayé de rouge, et mon corps vendu est devenu de marbre. Et quand le mal est arrivé dans la ville, tuant surtout les hommes, j’ai réussi à m’enfuir. J’ai marché deux jours et deux nuits vers le village. Le deuxième matin, alors que les sœurs debout sur la crête du col de l’Est chantaient pour tenter d’arrêter ce mal, épuisée, je me suis assise dans le chaos rocheux qui surplombe le monastère, pierre parmi les pierres. Emma m’a donné à boire, à manger, à chanter.
Je suis Roxane.
Mes parents lisaient Edmond Rostand, ils désiraient un garçon, regardez mon nez, tout s’explique. Je suis colonelle, je vivais dans la caserne de la ville de l’Est. Ce mal a mis l’Etat et l’armée en déroute, et malgré le confinement on ne compte plus les morts, les hommes morts, on entasse les corps avec des pelles mécaniques et on les brûle, du village on voit des nuages de fumée s’élever derrière les montagnes de l’Est. Les survivants sont livrés à eux-mêmes, on pille, on se bat, on fuit. Tirez sans sommation ! c’est le dernier ordre reçu. Nous n’avons pas tiré sur ces pauvres gens. Je suis devenue militaire, corps de femme sous mon treillis, non pas pour attaquer mais pour défendre. J’ai une haute idée de la défense, et dès le premier jour de mon engagement, je me suis jurée de démissionner, de déserter, si mes supérieurs, y compris le Président de la République chef des armées, me demandaient de renoncer à cet idéal. J’ai déserté, avec toutes les femmes du régiment, et nous voilà dans ce village, et nous protégeons ces femmes.
Je suis ces femmes du village.
Ce matin, on dit que le mal venu de l’Est a franchi le dernier col, qu’il dévale sur le village. Et les hommes, dans leur entêtement d’hommes, dans leur logique d’hommes, dans leurs rivalités d’hommes, aucun ne voulant révéler aux autres sa part de féminité, tous les hommes, dans des voitures et des camions, bravent l’interdiction de sortir de chez soi et prennent la route de l’Ouest. Ils espèrent ainsi échapper à ce mal, le fuir, au lieu de rester au village, d’entrer en résistance, avec nous.
Ils n’aimaient que le souvenir de nos corps jeunes et lisses.
Je suis Raechel, Emma, Salma, l’esclave sexuelle, Roxane.
Je suis les femmes du village.
TEXTE DE SANDY BERTHOMIEULUMIÈRE FLORALE CRÉATRICELes rayons solaires réchauffent l’écorce, l’épiderme et les délicates pétales de cette flore sauvage en pleine efflorescence. Au printemps, cette fleur jaune, pulpeuse et généreuse égaye les paysages encore assoupis...
TEXTE DE PATRICYAN CASTETS-ROBERT" Je pense que c'est la photo du ciel du jour de ma naissance, ma mère raconte que cette image d'une division en 4 parts, l'avait beaucoup étonnée !! " Je la comprends, et même si l'on est éloigné de la roue céleste, et de son habituel...
TEXTE DE VÉRONIQUE BROSCorps fondu Gorgé de vie Nu de désirs Ciel tranché Terre meuble Berceau humide et chaud Accueil du languissement charnel de la terre et du corps Je suis l'humus Je suis la terre Je suis l'arbre au dessus de moi Je suis le ciel, la nuit, le vent...
TEXTE DE MYRIAM OHREVENIRrevenir de ses rêves les plus fousde ses peurs les plus profondes,revenir des passions les plus dévorantesdes châtiments les plus insupportables,revenir d’aussi loinqu’on s’en souvientde l’injustice de l’abandon,de l’espoir du bonheur,des...
TEXTE DE FRÉDÉRICK DARCYClairières sensuellesD'une forêt ancienneEmbrasséeSur les sillons involontairesDe la vertigineuse spirale des existants.
TEXTE DE JULIETTE LOUBESSISILDepuis le début du temps j’attends Éclaboussée des saisons qui me parent Enveloppée de nuit Je rejoue l’éternité des fleurs et du feu Celle des ventres qui s’arrondissent Du lien frêle qui se tisse Des cicatrices d’un velours douloureux...
TEXTE DE .JACK ALANDATerre de nos vices – dans le creux de tes vallons ton désir ardent, souverain, si généreux, embrase et dissout le temps.
TEXTE DE MANUEL RAZAFINDRABE 20 20Lespugue, Laussel et Dolní Věstonice Ont longtemps célébré la rondeur de tes seins, L’arc de tes cuisses et la douceur de tes reins. Berceau archaïque de notre humanité, Ton ventre fécond a plusieurs fois engendré Des rêves...
TEXTE DE EVE CORNET LA MUSE Un jeune homme a écrit un poème pour une fille qui fêtait ses seize ans : « Tel le dit Elohim, Eve naquit d’un(e) côte Et menée par la vie, sa jeunesse envolée A vivre ainsi sa vie elle fut amenée Sans que la vague pousse aux récifs de la...
TEXTE DE DAVID WICKER Scarifié, sacrifié mais debout. Existence toujours vacillante qu’un seul battement met en route. Corps prêt à faillir, à s’échouer, à disparaître. Peut-être ? Abîme au bord duquel se dépose un temple de chairs en couleurs. Que cachent ces...
TEXTE DE ISAURE BOUSSEYROUX Sous des avalanches de brume, je m’indiffère Au Requiem grégorien et austère. La sphère Qui tourne comme un doux disque mécanique. Celui-ci accroche mes griffures cyniques. Là-haut sur le trépied de l’espérance Des scarifications exquises...
TEXTE DE NICOLAS BENDRIHEN La fleur qu’on a soufflée Se pose, hésite, s’envole à nouveau. Fin de l’été.
TEXTE DE VALÉRIE SCHLEESous les frondaisons, le périple des peaux. Dans l’inclémence des remparts, l’ombre rechigne. Glaner le dénuement, froisser le spectacle du matin entre nos mains. Se manifester dans la lumière, les yeux accrochés au fourreau du désir. Effroi de...
TEXTE DE PASCALE DRIGUEZ * Car rien ne fait naufrage ou ne se plaît aux cendres. Et qui sait voir la terre aboutir à des fruits, Point ne l'émeut l'échec quoiqu'il ait tout perdu. Je suis née du fond du fleuve Amazone Avec les miens animaux et humains Les bras du...
TEXTE DE MONIQUE DÉSORMEAUX Rêves Des branches dressées, des bras qui s’élèvent, Droits, rigueur et vigueur, venus des profondeurs du solTels des menhirs celtiques. Deux bras ou branches écartées l’un et l’autre Par un espace hexagonal. Les ailes déployées d’un...
TEXTE DE XAVIER DOUMEN Le moment d’y voir Ça passe À perte de vue Choses qu’on oublie Qu’elles me traînent M’avalent, recraché Le moment d’y croire Le moment d’y croire Ça passe Ça se passe Le spectacle sous nos yeux Se frayer un passage Déverse Le moment d’y...
TEXTE DE CHRISTIAN PASTRE ELLESource de tout physis des temps premiers force sans norme chair du monde Elle d’avant la distinction chair géante de roche et de feuille mère et fille fille et mère sainte herbe sœur granite Puissance forçant la vie désir emplissant les...
TEXTE DE JULIEN BRUN « Un souffle s’envole Silence Errance Une caresse frivole » L’obscurité s’empare du ciel. Mes yeux se ferment. S’ouvre un monde invisible, peuplé de formes mouvantes, indécelables. Un monde empli d’offrandes, constellé de paradoxes où les mots...
TEXTE DE MARIE-LINE BIASON ÇA SENT BON LA PLUIEDans ton ventre, ça sent bon la pluie. C’est extraordinaire cette odeur d’humidité fraîche qui se mêle aux souvenirs de la chaleur harassante qui s’évapore enfin, à l’ombre d’un instant qu’on n’attendait plus. Ça sent...
TEXTE DE AMANDINE GLÉVAREC Je ferme les yeux, je ne suis rien. Je ferme les yeux, je ne suis rien, je suis tout, je suis toi. Je ferme les yeux, je t’entends, toi qui pousses en moi, je t’entends, toi qui vis en moi, je m’entends, moi qui bats en toi, je m’entends,...