TEXTE DE
MARIE-LINE BIASON
ÇA SENT BON
LA PLUIE
C’est extraordinaire cette odeur d’humidité fraîche qui se mêle aux souvenirs de la chaleur harassante qui s’évapore enfin, à l’ombre d’un instant qu’on n’attendait plus. Ça sent toute la possibilité de vie qui pousse et se développe à chaque seconde, dans chaque poignée de terre. Dans l’air, la poussière, les bactéries, les plantules, dans le regard du mammifère qui sort d’hibernation. Le souffle revient, déterminé, émergeant du long assoupissement aveugle.
Je n’aurais plus cru sentir un jour cette odeur en toi, toi qui as eu la peau craquelée des centaines de fois quand tu ne veillais pas aux rayons de lumière qui percutent inlassablement.
Je t’ai oubliée, agrippée à ta pierre rouge de torpeur, immobile, quasiment insensible au souffle brûlant qui force les écailles, transpercée par le bonheur que plus rien n’importe au grand jour de la puissante nature.
« La lumière infiniment douce et tranchante de ce courant d’air ne peut pas traverser ces lentilles. »
J’aurais aimé que tu englobes le monde entier dans un Un, pour que ma respiration devienne fluide, rassurée. Mais, systématiser chaque déploiement de pistil, chaque séisme qui engouffre les floraisons, chaque revirement d’amour, ce n’est pas imaginable.
Dans ton antre, la chair est épaisse et résistante, douce et visqueuse, d’une chaleur pourpre sans danger. Tu es le lieu unique. Le lieu du retour. Le modèle primaire du reflet de mes rêves. L’enroulement d’une embrassade soyeuse et étanche, contre toute atteinte. Chaque perle de salive m’assujettit au souvenir de ce plaisir.
« Je voudrais ne jamais avoir eu à sortir de ton sein. Etre restée blottie là, dans le champ doré du premier, dans l’évanescence des mouvements extérieurs et des sons noyés dans le mucus de la sphère. »
Le grognement de la lionne chasseresse gronde au fond des cavités. Les brindilles d’herbe frémissent à peine auprès du sabot silencieux. La lèvre se raccourcit, immaitrisable. L’appel du galop, de la morsure, s’extirpe des tréfonds de l’abîme. Il est là, imminent.
Il soulève soudain mon cœur, arrachant mes entrailles nonchalantes à l’abandon. Le monde est loin derrière déjà. Les fibres empressées talonnent sans gêne le terrain irrégulier. Furieusement happée par la frénésie du vivant, mes inspirations ardentes se suspendent dans un temps plus prompt que celui de la proie.
Et puis, la rencontre. Brutale. Aisée.
C’est un triomphe de contenir cette masse chaude dans la gueule, de ramener le gibier sanguinolent au troupeau, ne partageant qu’à moitié ma victoire. Puis s’avachir de nouveau, le muscle encore fumant des contractions avides, le souffle requinqué de rage, imprégnée pour un temps de la jouissance de conquête. Je m’assoupis désormais lucide, dans l’entre deux chasses, avec le souvenir fragile des sensations du rugissement.
Ton ossature solide, ta carcasse charnue sans regard, le cœur de tes errances… Je n’ai fait que les espérer.
Les losanges de peau, la respiration chaude, les éclats bleutés au revers de ton ombre… Je n’avais pas cerné ma silhouette, sous les décombres.
J’ai aimé ramer à la dérive du torrent furieux, à l’interface de l’image qui me perd, rêvant de moi-même à l’infini.
L’orage approche.
Pas de chutes à l’horizon.
Je n’aurais plus cru sentir cette odeur en moi,
le souvenir fragile de la frénésie du combat.
Dans mon ventre, ça sent bon la pluie.
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