TEXTE DE
PASCALE DRIGUEZ
* Car rien ne fait naufrage ou ne se plaît aux cendres.
Et qui sait voir la terre aboutir à des fruits,
Point ne l’émeut l’échec quoiqu’il ait tout perdu.
Je suis née du fond du fleuve Amazone
Avec les miens animaux et humains
Les bras du fleuve ouvraient pour chacun
Puissance et paix
L’immense était notre maison
Sa force semblait nous protéger
Regarde
Les limons de mon corps se dessèchent aujourd’hui
Et mes jambes d’algues sont presque mortes
J’attends
J’attends que cesse la folie de l’enfer des feux sur nos terres
J’attends que la dernière maladie qui nous a été envoyée
Cesse de tuer ceux d’entre nous qui restaient
Tout meurt ici aujourd’hui et les miens animaux et humains
Les arbres le futur et la terre et le temps
Tout meurt et on cherche de l’or
Mon corps est fermé suspendu
Enroulé sur l’attente en sursis
Mes bras sont vides de vie
Et de sable rempli
Ma voix s’éteint et ma peau et mes mains
Se glacent au soleil du matin
Pourtant
La musique des dunes frémit sous les étangs
Les mains des étoiles se tendent vers demain
Avec la permission des eaux
La bénédiction des vents
Je peux encore accrocher à mon regard
Le chant des oiseaux et lire l’alphabet des forêts
Je peux encore dessiner le chemin qui attend en secret
La parole friable et fidèle pour monter
Vers l’après
J’entends presque le retour du temps
Le silence offert à la mousse des pierres
Quand craque doucement sous mes pas la terre où je sens la mer à l’envers
Où le couteau avait choisi de se porter
On chantera la fin de la nuit éclatée
On fêtera l’éternel drap sur le front remonté
J’écoute les nuages
Ils me tendent un tissu de patience et de force
Regarde
les limons de mon corps
Regarde
mes jambes d’algues palpitent peut-être encore
* René Char. « Redonnez- leur », Fureur et Mystère. Les Loyaux adversaires.
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